Retour sur le Climatour "Reconquérir les friches : une aubaine pour le climat"
Mis à jour le 1 juin 2023
57 personnes ont participé au Climatour "Reconquérir les friches : une aubaine pour le climat" le mardi 4 octobre 2022. Retour sur cette visite de terrain au départ de Houplines et jusqu’à Don et Sainghin-en-Weppes. Au programme : atténuation, économie circulaire, sobriété foncière et aménagement naturel.
Pour aborder la reconversion des friches sous l’angle du climat, le Cerdd s’est entouré d’expert·es de l’Ademe et de l’Établissement Public Foncier (EPF) des Hauts-de-France. Sur le territoire de la Métropole Européenne de Lille, à Houplines, Don et Sainghin-en-Weppes, deux visites de terrain ont été organisées pour explorer le potentiel d’atténuation et d’adaptation au changement climatique que recèlent les multiples usages fonciers des friches industrielles.
La requalification des friches : une opportunité d’aménagement résilient face au changement climatique
Un levier d'atténuation
Disponibles pour la construction de logements, d'écoquartiers, pour le déploiement de nouvelles activités économiques ou de nature en ville… après déconstruction du bâti obsolète et éventuelle dépollution, les anciennes friches industrielles sont utiles pour économiser de l’espace, le réinvestir, ou encore aménager des îlots de verdure et de fraîcheur précieux ! Dans un contexte de maîtrise de l’étalement urbain et de tensions sur l’usage des sols, la reconversion des friches constitue un véritable enjeu pour l’aménagement durable des territoires, comme levier puissant de renouvellement urbain.
Cette logique de sobriété foncière réduit notre impact en termes d’émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) en s’inscrivant dans une stratégie d’économie circulaire, avec le recyclage de foncier dégradé. On choisit de réutiliser un espace déjà consommé, sans empiéter sur les espaces naturels, agricoles et forestiers. Les émissions de GES s’en trouvent ainsi évitées par la limitation de l’étalement urbain, ainsi que la limitation des flux de transports provoqués par l’allongement des distances entre espaces de vie, de travail ou de services.
Ces impacts peuvent être mesurés et suivis par des outils tels que l’inventaire Cartofriches ou le service UrbanVitaliz développés avec le Cerema, comme l’indiquait en plénière Emmanuel Teys, animateur territorial à l’Ademe Hauts-de-France, faisant le point sur l’ingénierie technique et financière disponible. Pour soutenir les projets de reconversion de friches, l’Ademe propose effectivement des accompagnements et appels à projet réguliers couvrant les étapes d’études de préfiguration jusqu’à la mise en œuvre, et réunis sur la plateforme Expérimentations Urbaines.
En ce qui concerne les friches industrielles, la requalification donne lieu à un meilleur soin du sol. Afin d’y implanter de nouveaux usages, des diagnostics de pollution permettent d’identifier et de traiter de potentielles sources de pollution issues de pratiques souvent peu respectueuses de l’environnement.
Un levier d'adaptation
La dépollution, lorsqu’elle s’accompagne de désartificialisation, représente également une mesure d’adaptation au changement climatique. Désartificialiser les sols permet de restaurer leurs capacités à infiltrer l’eau de pluie, accueillir la biodiversité ou encore de multiplier les espaces d’expansion de crue pour limiter les risques d'inondation.
Plus largement, la désartificialisation est au cœur d’un objectif ambitieux inscrit dans la loi Climat et Résilience de 2021 : atteindre la Zéro Artificialisation Nette (ZAN) d’ici 2050. Cet objectif, qui fait l’objet d’un suivi à travers un portail national, impose aux territoires de baisser de 50% le rythme d’artificialisation et de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 - par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020. Par conséquent, les élu·es doivent repenser les villes et les aménagements urbains pour préserver ces espaces : en limitant la construction en périphérie urbaine, en réinvestissant les espaces déjà artificialisés, et en désartificialisant pour permettre à la nature de les reconquérir.
Cette renaturation doit être pensée conjointement avec la protection des sols, de la biodiversité et la gestion durable de l’eau. Si les projets de requalification de friches impliquent la restauration d’espaces naturels sur le temps long, guidée par une vision globale de la préservation des écosystèmes, alors ils peuvent constituer une solution d’adaptation fondée sur la nature. Celles-ci sont définies par l’UICN comme des « actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés, pour relever directement les enjeux de société (changement climatique, sécurité alimentaire, approvisionnement en eau, réduction des risques naturels, santé humaine, développement socio-économique) de manière efficace et adaptative tout en assurant le bien-être humain et des avantages pour la biodiversité ».
>>> Voir notre publication sur ce sujet « Nature et adaptation : les inséparables »
Quels usages temporaires ou définitifs privilégier sur nos anciennes friches ? Entre déconstruction et ré-affections, comment y favoriser l’émergence de projets pédagogiques et citoyens ? Comment y organiser les interactions entre activités humaines et nature ?
Transformer les « friches », c’est les rendre habitables pour l’humain et la nature
De la dépollution à l'aménagement naturel
Le maire de Don, celui de Sainghin-en-Weppes, ainsi que son adjoint au cadre de vie et développement durable, nous ont accueillis pour la visite du futur Parc de la Tortue : un parc situé sur le terrain d’anciennes activités de blanchisserie et de teinturerie, et qui s’étendra jusqu’à Bauvin. À l’extrémité sud-ouest du Parc de la Deûle, et au bord du canal, le site de l’ancienne blanchisserie « Teintures et Impressions du Nord » se situe sur les trois communes et englobe plusieurs milieux naturels voisins.
Orchestré par la Métropole Européenne de Lille (MEL), en coopération avec ces communes, le projet de requalification s’inscrit dans une dynamique globale de renforcement du réseau d’espaces naturels métropolitains. Il représente dans l’ensemble une zone humide de près de 35 hectares. Ces terrains ont vocation à constituer un lien écologique et récréatif entre la métropole lilloise et l’ancien bassin minier.
La conception de cet espace a dû prendre en compte la présence de nombreuses sources de pollution établies par diverses études - et parfois découvertes lors des chantiers, nécessitant d’adapter la conduite des travaux. Comme nous l'ont détaillé pour la MEL Tiphaine Marion-Leclère, cheffe de projet Trame Verte et Bleue, et Yoann Dhainaut, ingénieur en environnement, l’option de réhabilitation retenue a consisté à mettre en œuvre une alvéole de confinement étanche. Celle-ci a permis de traiter la pollution sur place et ainsi de limiter les flux de transport pour déplacer les plus de 12000m3 de matériaux pollués en décharge : un choix s'inscrivant dans une logique d’économie circulaire.
Au-delà du plan de gestion de la pollution, différentes études ont permis de justifier de l’intérêt écologique et paysager du site en mettant en évidence une diversité des milieux naturels et d’en identifier les éléments remarquables. Le maintien et la préservation de la trame écologique et paysagère ont constitué un pilier complémentaire au traitement de la pollution, avec le maintien et la création de milieux ouverts, la préservation et requalification de zones boisées, le traitement paysager des abords et l’accès à partir du chemin de halage, mais aussi la requalification de zones humides et la restauration de fonctions hydrauliques.
Des contraintes environnementales ont en effet orienté le projet vers une gestion durable de l’eau en raison notamment de son positionnement dans l’aire d’alimentation des captages d’eau potable dits des Ansereuilles, couvrant près de 80 % des besoins en eau de la métropole. Un suivi de la qualité des eaux souterraines grâce à des ouvrages piézométriques est notamment réalisé depuis 2004. L’espace a également été pensé comme une zone tampon potentielle en cas d’inondations.
Le projet revêt ainsi dans son ensemble un aménagement cohérent avec la démarche de Trame Verte et Bleue en préservant la qualité environnementale des milieux et en renforçant la protection de la ressource en eau pour un futur parc de 45 hectares.
Des usages temporaires au temps long
L’Établissement Public Foncier (EPF) des Hauts-de-France exerce un rôle d’opérateur foncier auprès des collectivités territoriales, dans la maîtrise de leur foncier et le recyclage de leurs espaces dégradés. Par exemple, l'EPF a accompagné la MEL (via une convention partenariale) en menant à bien les négociations foncières pour acquérir une quinzaine d’hectares adjacents au site de l'ancienne blanchisserie de Don et Sainghain-en-Weppes.
Mais les compétences de l'EPF vont au delà de l'acquisition de foncier, comme l'a montré la deuxième visite de la matinée, toujours sur le territoire de la MEL: le site Hacot-Colombier, propriété de l’EPF à Houplines. Ici, la démonstration a concerné la gestion, par le végétal, d’un espace urbain déconstruit. Temporairement disponible, cet espace a donné lieu à des expérimentations et occupations transitoires afin de l’exploiter pendant cette période intermédiaire plutôt que de le laisser à l’abandon, tout en préservant et en optimisant ses qualités écologiques.
La démolition de l'ancien bâti d’activités industrielles a ainsi laissé place à diverses initiatives permettant la structuration du sol avec développement racinaire et formation d’agrégats, l’augmentation du carbone organique dans les sols, la mise en place de parcelles témoins pour comparer les espaces de nature maîtrisés, ou encore la culture de sorgho, de sarrasin, de lin textile, lin oléagineux et de chanvre utilisé pour le paillage horticole et en matériaux pour le technosol.
Guillaume Lemoine, référent biodiversité et ingénierie écologique à l’EPF des Hauts-de-France, a rappelé ce que ces multiples usages révèlent de la transformation d’une ancienne « friche » à l’état actuel de « site » occupé, même de manière provisoire. Car au-delà de la valorisation de la biomasse, cette renaturation est l’objet d’un portage politique fort et de coopérations multiples. Le maire de Houplines, également vice-président à la MEL à l’Agriculture et aux Espaces verts, témoigne de la gestion de ce projet au long cours comme d’un élément ayant largement « bousculé » son mandat et ses fonctions.
L’opportunité d’occupations temporaires a été saisie tant pour la nature que pour les habitant·es, embarqué·es dans les projets, notamment grâce à l’implication de la société coopérative Les Saprophytes. Pascaline Boyron, co-fondatrice, nous a éclairé sur les modes de participation citoyenne et de gouvernance participative enclenchés grâce à la requalification du site, des jardins partagés à l’installation d’une charte co-construite.
>>> Lire aussi notre entretien avec le collectif Les Saprophytes : « Oser la participation ! Le pouvoir d’agir au service du bien commun »
Les parties prenantes représentées ont fait état de la nécessaire gestion des frustrations engendrées par la perspective d’activités et usages éphémères, mis en perspective d’un engagement d’ingénierie technique, financière, et celui des acteurs du territoire. Un socle de valeurs communes et un contrat de transparence et de confiance viennent alors en soutien à un dénouement satisfaisant, mais aussi mobilisateur. À partir de ces usages temporaires, naissent parfois des organisations collectives et de nouveaux usages pérennes, qu’il convient d’articuler avec les nouvelles activités du site afin de les poursuivre sur place ou ailleurs sur le territoire. Les projets de requalification de friches incarnent de nouveaux modes de concertation et de participation citoyenne, plus respectueux de l’environnement et des usager·es passé·es et futur·es des sites.
Sur le site de la blanchisserie, la perspective finale d’accessibilité et d’accueil du public a par exemple guidé les réflexions et décisions quant à l’attention portée à la mémoire du site, avec la conservation symbolique d’une zone de carrelage d’origine et surtout le choix de créer des supports pédagogiques explicitant la transformation du site. Plus largement, un point de sensibilisation y sera mis en place portant sur les démarches à Haute Qualité Environnementale et les énergies renouvelables.
Au global, les sites en reconversion constituent des viviers de projets territoriaux ambitieux, de reconquête de la nature, d’expérimentations écologiques mais aussi humaines. Pensés de manière systémique, ils sont des lieux de réappropriation d’espaces en mutation, mais aussi de projection dans le temps long, propice à l’action de lutte contre le changement climatique.
>> Retrouvez notre une vidéo de capitalisation
Dossier ressources réalisé à l'occasion du Climatour :