Pas à pas, en s'efforçant de fournir des réponses de qualité à des besoins, et en cultivant une orientation sociale, l'association La Machinerie a construit un tiers-lieu qui fait référence à Amiens et en Picardie.
Sur un mur des nouveaux locaux de La Machinerie à Amiens, une longue liste de tâches est affichée ; elle couvre jusqu'aux détails de l'installation : "Acheter des plantes vertes pour les salles de réunion", "Peindre les piètements des chaises" et même "Poser le sticker poussez/tirez sur la porte". Pour chacune, un nom de responsable, ou de volontaire, est mentionné. L'association a emménagé il y a quelques semaines à peine mais tout semble très organisé... "Nous sommes plutôt des faiseux, explique Marie Fauvarque, présidente de La Machinerie. Et nous agissons avec exigence, rigueur, constance. Cela tient à notre double culture d'origine : le monde de l'industrie et l'initiative associative".
Test, validation, développement
Au début de la décennie, une poignée de trentenaires picards, tous dotés de solides connaissances universitaires et les ayant mises en pratique en entreprise, a commencé d'explorer d'autres manières de travailler. "Nous voulions expérimenter les nouvelles possibilités de conception et de fabrication ouvertes par le numérique, tout en mutualisant des moyens et des espaces à travers le coworking", explique Sébastien Personne, l'un de ces précurseurs, devenu vice-président de l'association La Machinerie, créée en avril 2014. En septembre de la même année, le "Fab Lab" issu de leurs réflexions a ouvert ses portes, sur une centaine de mètres carrés loués en ville. Les particuliers pouvaient y trouver imprimante 3D ou découpeuse laser et le succès a vite été au rendez-vous. Quelque temps plus tard, La Machinerie doublait sa surface. "Nous n'avons jamais cherché à remplir des mètres carrés à tout prix, indique Sébastien Personne. Nous testons, nous validons et puis nous développons".
De grands espaces
En juillet dernier, sans déroger à cette méthode très raisonnée, La Machinerie a pris en location un bâtiment de 750 m2, géré par la société publique locale Amiens Développement, juste derrière la gare d'Amiens. Pour transformer les deux niveaux naguère occupés par une société d'agrandissement photographique, et acheter du matériel, l'association boucle une campagne de financement participatif qui doit lui rapporter 10 000 €. Et les bénévoles et salariés de La Machinerie ont réalisé beaucoup de travaux d'aménagement eux-mêmes. Les installations sont déjà opérationnelles, on l'a dit. Au rez-de-chaussée : les bureaux de l'association, un espace de réunion ou d'exposition mis à disposition de partenaires extérieurs sur demande ; et bien sûr, le fab lab, en figure de proue, avec ses machines sur tables et ses outils soigneusement accrochés aux murs. Moyennant une adhésion de 15 € par an, on peut y accéder trois jours/seize heures par semaine et y bénéficier de l'accompagnement de deux "fab managers" permanents. Un programme spécial axé sur la robotique (Openbot) a en outre été conçu pour les moins de 26 ans.
La philosophie de l'open source
"Le fab lab repose sur la même tendance que le bricolage il y a quelques années : l'envie de reprendre la main sur le "faire", explique Sébastien Personne. Les outils numériques permettent simplement d'aller un peu plus loin et de fabriquer des objets répondant à des besoins identifiés et exprimés". Quelques productions-tests sont présentées dans le hall de La Machinerie : bustes de personnages en matières synthétiques, petits robots, travaux de façonnage du bois et de sculpture. L'important est ici de respecter une philosophie, celle de "l'open source". Elle est résumée sur un panonceau humoristique : "On documente, sinon, c'est la fessée !". Documenter, c'est-à-dire livrer sur le web les processus de fabrication qu'on a utilisés : codes informatiques, fichiers-sources, essais et erreurs. Chacun, dans le réseau des fab lab français et étrangers, doit pouvoir s'approprier et re-développer une création.
Sur la rampe de lancement
Certains des nouveaux "makers" passés par le "lab" peuvent prendre place ensuite dans l'incubateur "Starter", mis sur orbite par l'association en 2016. Il s'agit d'un dispositif d'expertise de micro-projets relevant de l'économie sociale et solidaire (ESS), situé entre l'idée et la première expérimentation. Une première promotion de six porteurs d'initiatives a accompli le parcours : l'un visait un meilleur accès des seniors au numérique, un autre la production de repas à partir d'ingrédients locaux, un troisième l'usage de la ludothérapie. A partir de cet automne 2017, une deuxième promotion suivra le même chemin, à quelques ajustements près sur la sélection des idées ou l'aide au montage des initiatives. Cette intervention dans le champ complexe de l'accompagnement des micro-projets est reconnue par la Région Hauts-de-France, l'Europe à travers le fonds social européen, et la chambre régionale de l'ESS.
Pour les publics "éloignés"
Mais les fondateurs de La Machinerie le savent bien : tous les publics ne peuvent pousser spontanément et sans difficulté la porte de leurs équipements. Pour répondre à leur souci de démocratiser la fabrication numérique, ils organisent des ateliers destinés à des personnes sans formation ou venant de quartiers défavorisés. En quatre à six séances, de la découverte des techniques à la réalisation d'un objet, 90 stagiaires dédramatisent cet univers étranger (avec l'un d'eux, il a fallu repartir de la définition d'un millimètre) ; et, a minima, ils retrouvent confiance en leurs capacités. En direction d'autres interlocuteurs, également "éloignés de l'emploi", l'association lance en novembre 2017 une formation sous le label national Grande école du numérique. Elle est dénommée "Artisans numériques, entrepreneurs et makers". En six mois, prolongés par six mois d'immersion en entreprise, les participants auront acquis un bagage technique mais découvriront aussi l'entreprenariat et l'économie sociale et solidaire. Ils doivent pouvoir ensuite reprendre un parcours diplômant, concrétiser une idée d'activité ou s'orienter vers un emploi classique.
Le coworking sur un plateau
A l'étage du 1bis rue de la Vallée, au-dessus de son fab lab, La Machinerie a aussi créé un "espace pro", où quelques grosses machines, comme une fraiseuse numérique, une imprimante 3 D et une découpeuse laser grands formats, sont proposées en location aux PME qui n'en sont pas encore équipées. A ce même niveau, un plateau, où demeure un agrandisseur photographique monumental, offre une trentaine de postes de travail à des co-workers, dont trois occupés par des entreprises et une coopérative d'activité et d'emploi "Grands Ensemble", qui les mettent à disposition de leurs salariés. Quelques autres emplacements sont réservés à des travailleurs nomades, de passage. "L'ensemble des installations forme bien un tiers-lieu mais nous lui avons imposé notre définition : celle d'un point de rencontre entre acteurs d'origines, de générations et de conditions différentes".
Un lieu "extrêmement unique"
La Machinerie reçoit 1 500 visites par an dans son fab lab, son incubateur et son espace de coworking sont pleins... "Nous avons sans doute atteint notre taille définitive qui nous permet de répondre à des besoins avec une vraie qualité, confirme la présidente de l'association, Marie Fauvarque. Mais nous voulons continuer à être créatifs, à innover dans notre fonctionnement, à mieux articuler encore ce système sensible d'acteurs publics et privés et de particuliers". La Machinerie entend aussi appuyer des initiatives émergeant d'autres collectifs, dans d'autres territoires. L'association est très sollicitée par des représentants de collectivités ; certaines engagent avec elles un travail collaboratif, d'autres se contentent de visiter les lieux... "Notre initiative les intéresse mais pas forcément la façon dont nous la menons, constate Marie Fauvarque. L'emploi est une fin possible de nos activités, ce n'est pas la seule. Nous œuvrons aussi pour l'éducation populaire, l'émergence de savoir-faire, l'économie des ressources. La Machinerie restera un lieu extrêmement unique ; ce qui se fera ailleurs doit tenir compte du contexte, des forces en présence et des besoins locaux".
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Identité
Association La Machinerie, 1bis rue de la Vallée, 80000 Amiens. Entrée du public : 56 rue du Vivier à Amiens.
- Création : 2014
- Territoire : Amiénois, Picardie
- Nombre de permanents : 7 ETP (4 CDI, 3 CDD) et deux personnes en service civique
- Budget : 300 000 €, dont 17 % de recettes provenant du coworking
- Vocation : démocratisation de la fabrication numérique et développement du coworking.
- Partenaires et financeurs : Préfecture de la Somme - FNADT, Conseil Régional Hauts-de-France, CRESS Hauts-de-France, ANRU, Ombeliscience, Grande Ecole du Numérique, Fondation Orange, Fondation Caisse d'Epargne, Fondation Brie Picardie, Fondation de France, Contrat de ville Amiens Métropole, DRJSCS, ESAD.
- Ressource : http://lamachinerie.org
Contact
Marie Fauvarque, Sébastien Personne - T : 09.66.85.18.51
Courriel : presidence@lamachinerie.org ; personne.seb@gmail.com
- 10. Réduction des inégalités
- 12. Consommation et production responsables
- 8. Travail décent et croissance économique
Objectifs de développement durable
Sur le terrain
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