Agroforesterie à la Ferme du développement durable à Herleville : et si on en prenait de la graine ?

Accompagner le vivant

Vue aérienne de la ferme : on distingue quelques lignes des dix kilomètres de haies entourant les 33 parcelles de l’exploitation agricole d’Hélène et Gonzague Proot et de leur imposante ferme en rectangle située à Herleville (80).

C’est en 2010 que le couple d’agriculteurs entame la conversion en agriculture biologique de la ferme familiale. Mais l’esprit du bio les habitaient déjà en 2001, date à partir de laquelle ils commencent à mettre  en pratique de nouvelles techniques : le non labour sur les cultures du printemps, le mulchage, le compostage de fumier, la redécoupe du parcellaire pour favoriser l’assolement et la biodiversité, la mise en place de haies et de buissons... 

Une recherche d’autonomie et d’équilibre

Au fil des ans, ils explorent et expérimentent, toujours en suivant leur goût pour la recherche d’autonomie et de l’équilibre des êtres vivants dans leurs milieux – humains, végétaux, animaux – qui dictera de plus en plus leurs choix, jusqu’à la conversion totale des 139 hectares (ha) de parcelles de la ferme en agriculture biologique. 

C’est en 2010 également qu’ils optent pour l’élevage-herbager à travers l’acquisition d’un cheptel de 20 vaches allaitantes de race Salers dont ils veillent scrupuleusement au bien-être dans une étable ronde de 700 m².

Leur cap ? Mettre en œuvre une activité agricole qui allie animal et végétal dans un cycle environnemental durable et humain où l’équilibre se crée et se recrée tout seul et en permanence. Inspirant.

L’écosystème d’une ferme durable

Avant le passage en agriculture biologique, l’assolement pratiqué sur la ferme consistait à cultiver des monocultures de céréales, de betteraves et de pommes de terre : le tout sur une dizaine de parcelles en agriculture raisonnée qui permet de diminuer de 30% minimum les produits phytosanitaires. 

Une des premières décisions prises pour passer à une pratique biologique fut de diviser les onze parcelles en trente unités de cultures associées. 

Dix kilomètres de haies, ceinture et bretelles

Aujourd’hui, la Ferme du développement durable est devenue un patchwork constitué :

• d’un tiers de surface agricole utile dédiée à l’élevage des vaches Salers en pâturages, prairies permanentes et en rotation (luzerne, trèfle violet, lotier corniculé…)
• d’un tiers à la culture de céréales (blé de printemps et blé tendre d’hiver) 
• d’un tiers à la culture de légumes (haricots verts, pois de conserve, maïs doux, carottes, betteraves rouges, potirons, potimarrons…)
• de deux bandes de miscanthus de 24 mètres de large 
• de 3 ha en haie pour un verger de basses tiges de pommes et de poires à couteau

Au total, dix kilomètres de haies basses – hêtre, charme, chênes, troène – et de haies brise vent (comprenant chacune trois strates de hautes moyennes tiges et buissons) ont été plantées entre 2005 et 2021 pour ceinturer chacune ou presque des trente parcelles mais surtout pour protéger l’ensemble des 139 ha de l’exploitation. 

Ce choix d’une enclosure bocagère naturelle est certes indispensable pour maintenir le cap de sa pratique agricole vers l’adaptation au changement climatique et en faveur de la biodiversité. Mais elle l’est aussi pour protéger ses cultures des épandages de pesticides par les exploitations agricoles voisines.

De la haie à la biomasse pour se chauffer

Outre les objectifs liés à la biodiversité et au climat précités, Gonzague Proot commence dès 2005, par souci d’autonomie énergétique, la plantation de haies en semant deux bandes de 24 mètres de large de miscanthus giganteus, soit 3 ha d’herbe à éléphant, protégeant ainsi quelques-unes de ses parcelles des vents dominants. 

Cette intéressante alternative écologique de biomasse-énergie couvre totalement depuis 2009 les besoins en chauffage de la maison principale, de l’aire naturelle du camping à la ferme et de huit logements sociaux à loyer modéré de 65m² chacun. Séchant sur pied, le miscanthus, fauché une fois par an, ne nécessite aucun temps de séchage supplémentaire avant d’être utilisé. De plus, ses feuilles dispersées au vent recouvrent le sol des parcelles à toute proximité, améliorant encore sa qualité. Gagnant sur toute la ligne. 

Des prairies pour Salers en autonomie alimentaire

Entre les haies, des prairies permanentes et temporaires sont consacrées à l’élevage des vaches Salers. Les bénéfices des prairies sont multiples : le couvert en place, pendant deux à trois années pour les prairies temporaires, améliore grandement la biologie du sol, éradique sans produit chimique mais par la simple action mécanique du fauchage et du broutage par les ruminants, chardons, chiendents et laiterons. 

La culture de légumineuses telles que la luzerne, le trèfle blanc ou le lotier cornicule fournit de l’azote au sol, remédiant ainsi à la difficulté d’apport d’azote en agriculture biologique. Le fauchage des prairies assure le foin nécessaire pour passer les mois d’hiver. Hormis le sel, l’autonomie alimentaire est totale pour le cheptel de Salers. 

Chaque année, 10% des prairies sont ressemées assurant un pâturage de un, deux et trois ans d’âge. Au bout de trois ans, les fourmis entrent dans la danse et digèrent la biomasse du sol en place. Le sol vit, se régénère et s’équilibre tout seul. « L’important, déclare Gonzague Proot, est de connaître, reconnaître et de laisser faire l’intelligence combinatoire et coopérative de la nature ». La mode en agriculture est aujourd’hui à l’apport de ferments lactiques pour enrichir les sols ? « Les déjections de mes vaches en pâturage en fournissent gratuitement et à volonté presque toute l’année », souligne-t-il en souriant. Fertilisant.

Bien-être pour les vaches, régal pour les enfants

Les frais vétérinaires sont réduits au minimum grâce aux conditions de vie optimales et respectueuses du bien-être animal : pas d’écornage des bêtes, herbage en été, une étable ronde en hiver garantissant une ventilation régulière et un climat sain, moins de paille grâce à l’aération du bâtiment, moins de problèmes aux pattes car moins de piétinement, soins aux huiles essentielles… 

Le couple d’agriculteurs fournit également les cuisines collectives des dix-huit collèges du canton. La preuve, s’il en fallait encore, de l’efficience du cercle vertueux qu’ils ont mis en place ; le bien-être animal produit une viande de qualité, locale, bio et appétissante, laquelle nourrit sainement les collégiens le midi à la cantine.

L’effet « Totem » des actions mises en place

L'ensemble des actions mises en place sur l'exploitation permet parfois d'aller au-delà des attentes, jusqu'à surprendre l'éleveur lui-même : c'est le cas par exemple du taux de croissance des veaux, nés et élevés à la ferme, qui atteint le maximum prévu par les normes. Et ce grâce notamment à la bonne santé de la mère et à la qualité de l'herbe.

En harmonie et en équilibre avec le vivant

Sur les conseils du Conservatoire d’Occitanie, le verger basses tiges a été planté en double haies, chacune alternant un pommier ou poirier, trois buissons taillés à un mètre de hauteur et plantés entre chaque sujet. La notion de milieu équilibré chère au couple d’agriculteurs porte aujourd’hui ses fruits et s’illustre aussi de la façon suivante : peu ou pas de maladie et grande résistance des arbres fruitiers aux attaques d’insectes. Exit les soucis de ruissellement des eaux grâce à l’enracinement des haies que Gonzague Proot ne taille pas ou à peine, préférant laisser vivre les arbres. Tout cela renforce la qualité de l’eau et de l’herbe. 

Des solutions naturelles contre les aléas climatiques

Lors de fortes chaleurs, l’agriculteur s’est d’abord étonné de la présence des vaches près des haies malgré l’absence d’ombre avant de trouver une explication : l’hygrométrie des haies rafraîchit l’air à leur toute proximité, ce que les Salers n’ont pas manqué de remarquer. 

Présent sur la ferme depuis 1996, Gonzague Proot constate la dégradation du climat et l’aggravation du changement depuis 5-6 ans comme jamais il ne l’avait vu auparavant. « De longues périodes de sécheresse suivies de rares épisodes pluvieux mais intenses, témoigne-t-il. Une catastrophe pour les plantes au cycle court. » Une des solutions ? « Couvrir le sol en permanence ».

Ses haies récompensées par un prix Nature 2050

Hélène et Gonzague Proot ont téléchargé le nouveau logiciel du vivant depuis longtemps. Ils font partie d’une association d’agriculture biologique en Picardie. Pas de grande théorie mais plutôt des principes à personnaliser et adapter à chaque territoire, sur chaque parcelle. « Ce qui est bon sur mon exploitation ne l’est peut-être pas ailleurs. À chacun de personnaliser son mode d’agriculture et d’élevage pour trouver son équilibre en respectant les principes de la coopération du vivant », conseille Gonzague Proot.

Les efforts entrepris depuis vingt ans sont quand même aujourd’hui reconnus. L’ultime phase de sa plantation de haies – 4 bandes avec chacune une double haie-verger composée de 25 variétés de pommes et 15 de poires à croquer – a été récompensée du prix Nature 2050 en 2021. Un premier suivi a été effectué en 2022 avec un prélèvement de six échantillons de sol et de feuilles afin de mesurer la résilience des écosystèmes sur le long terme (taux de carbone et d’azote isotope 15). Les prélèvements seront analysés en laboratoire et interprétés par l’Université de la Sorbonne. Hélène et Gonzague Proot attendent, confiants, les résultats qui leur seront fournis courant 2023. 

En quoi cette initiative est bonne pour l’adaptation aux changements climatiques ?

Le changement climatique devrait rendre les fortes pluies et les épisodes caniculaires plus fréquents et plus intenses sur notre territoire. Tous les aménagements pour une gestion des eaux pluviales durable et intégrée sont encouragés pour contribuer à limiter les dégâts liés aux phénomènes climatiques extrêmes. À la Ferme du développement durable, l’installation des haies freine le ruissellement des eaux pluviales, apporte fraîcheur au cheptel des vaches, enrichit le sol grâce à l'humus des feuilles, offre un habitat aux insectes faisant office de nettoyeurs, et protège les cultures des vents dominants. 

Le projet en bref

Titre de l’opération : L’agroforesterie au service de la régénération des sols

Lieu/Échelle de l’action : Exploitation agricole de 139 ha

Identification du porteur de projet : Ferme du développement durable

Contact : Hélène et Gonzague Proot, Ferme du développement durable, 22 Grande Rue 80340 Herleville. Tel : 06 14 21 03 82

Partenaires : 

• Conservatoire régional de ressource génétique
• Association des Entomologistes de Picardie
• Bio en Hauts de France
• Concours Arbres d’Avenir

Financement : CDC 2050, Pure Projet, Fédération de chasse, Gestion de Territoire

Bénéficiaires/cibles de l’action : territoire, faune et flore, biodiversité, client·es, agriculteur·rices 

Documents de référence disponibles : 

Le site de la Ferme du développement durable

Fiche technique de la Ferme du développement durable

Vidéo de présentation de la Ferme du développement durable (lien Youtube)